3. super surface

 



super surface
2022, sound track, 5’20’’
english version  


           
J’associe souvent la mer au destin.
Ou, dirais-je plutôt, j’associe souvent la mer à la mort.
Je n’ai jamais aimé la mer.

Vue de ma fenêtre, en cette nuit d’hiver, elle ressemble à un désert abandonné.
Silencieuse et massive, elle attend un regard, scrute un mouvement de ma part.
Muette et séductrice, elle souffle son parfum iodé qui danse jusqu’à mon nez.

Je viens.

Telle Salomé, la mer opère des mouvements sonores,
allonge ses milliers de bras retors,
ductiles et impatients,
pour attraper mes pieds sur le sable crissant d’humidité.
Lorsque je me recule enfin,
les vagues se retirent plus lentement,
tels des serpents, boudeurs et mécontents.

Malheur à qui s’y pencherait à cet instant :
il serait saisi, entraîné, englouti par les puissances invisibles.

Je viens.

Malléable et souple, elle ne se contraint jamais à lutter
contre les forces de tension qui la pénétrent.
Sa matière se déplace sans cesse, flexible, elle ne cède pas et se meut librement :
bientôt je m’enfonce dans l’eau jusqu’à mi-jambes et, lorsque le froid saisi le bas de mon dos, je m’immerge totalement.

Je me trouve dans un ventre aux parois mouvantes dont je ne peux sonder la profondeur.

Englouti. Avalé. Piégé.

C’est la porte des ténèbres, le vestibule sinistre de l’inconnu,
le trou béant par lequel on précipite les « conjurés ».

Hanté par ce cauchemar récurrent, les contes bretons d’Anatole Le Braz, les gravures de Vingt Mille Lieues sous les mers et ses monstres marins démesurés — lesquels faisaient un écho graphique à l’histoire de Jonas dans la Bible — et les nombreux récits mortifères à propos des hommes du pays partis en mer, dévoreuse de chair, j’avais la constante impression, durant mon enfance, que l’océan me surveillait; que le moment venu était inévitable, où, mué à mon tour en homme, je devrais prendre la mer comme on perd sa virginité. Une obligation tacite née de mon héritage géographique et familial, une loi fatale, un destin qui serait de toute évidence funeste.

« Thalassophobie » ricanna un psychologue dont l’amusement était à la hauteur de mon désarroi.
Dans un état de déréliction absolu et pour contredire cette sentence,
je devins tout d’abord océanographe.
La peur ne me quitta jamais, je priai tous les saints de me venir en aide,
et je ne parlai plus jamais à quiconque de ces épisodes.
Intime avec ma plus grande peur, c’est ainsi que je vivrai.




ENGLISH VERSION


I often associate the Sea with fate.
Or rather, I should say, I often associate the Sea with death.
I never liked the Sea.

From my window, on this winter night, She resembles an abandoned desert.
Silent and massive, waiting for a look, scrutinizing a movement from me.
Mute and seductive, She blows her iodized perfume that dances up to my nose.

I come.

Like Salome, the Sea makes sonorous movements,
extends its thousands of twisted arms,
ductile and impatient to catch my feet on the sand crunching from humidity.
When I finally step back, the waves retreat slower,
like snakes, sulky, curved and disgruntled.

Woe betide anyone who leans in at this moment:
they will be seized, dragged, devoured by invisible forces.

I come.

Malleable and supple, She never forces herself to combat the tension forces that penetrate Her.
Her matter is constantly moving, flexible, She doesn’t yield and moves easily:
Soon, I sink into the water up to mid-leg and,
when the cold seizes my lower back, I immerse myself entirely.
I am in a belly with movable walls whose depth I cannot probe.
Engulfed. Swallowed. Trapped.

It is the door of darkness, the sinister vestibule of the unknown,
the gaping hole through which the “conspirators” are thrown.

Haunted by this recurring nightmare, the Breton tales of Anatole Le Braz,
the engravings of Twenty Thousand Leagues Under the Sea and its enormous marine monsters
— which visually reflected the story of Jonah in the Bible —
and the numerous legends about local men lost at Sea, this flesh devourer,
I had this constant impression, as a child, that the ocean was watching me. That the due course was inevitable, where, maturing myself to become a man, I should take the Sea the same way one loses their virginity. An unspoken duty born from my geographic and family heritage, a fatal law, a fate that would be by all accounts disastrous.

“Thalassophobia”, sneered a psychologist whose amusement was matching my confusion.
In a state of absolute dereliction, and to contradict this sentence,
I first became an oceanographer.
Fear never left me, I prayed all the saints to help me, and never told anyone about these episodes.
Intimate with my deepest fear, this is how I will live.